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Chroniques
récital Marc Mauillon
Butterworth – Debussy – Devaere – Fauré – Février – etc.
Premier de la collection Les musiciens et la Grande Guerre à faire intervenir la voix, ce quatrième volume met en vedette le baryton Marc Mauillon – salué récemment pour avoir chanté Eluard et Poulenc [lire notre critique du CD] – et la pianiste Anne Le Bozec, à l’œuvre sur un Bechstein de 1888 parfois joué en solo. Tous deux font revivre une douzaine de compositeurs pleins d’avenir, émus de voir approcher puis s’installer une guerre interminable, laquelle s’éloigne enfin, laissant les survivants désœuvrés, entre amertume, colère et désespoir.
Ils étaient belges, allemands, britanniques, australiens ou encore français. Et beaucoup n’entendirent pas sonner cloches et clairons autour de la clairière de Rethondes, au matin du 11 novembre 1918. Touché aux poumons quatre mois après sa mobilisation, André Devaere (1890-1914) disparaît parmi les premiers, nous laissant La flûte amère de l’automne. Puis tombent Fritz Jürgens (1888-1915) et l’auteur de Die ersten Menschen [lire notre critique du CD], Rudi Stephan (1887-1915), respectivement en Champagne et en Galicie, soit un an avant George Butterworth (1885-1916) et Frederick Septimus Kelly (1881-1916), à quelques mois d’intervalle, dans la Somme. Élève de Fauré et Massenet inspiré par la mythologie – son ballet Le réveil du faune, et Pour Cythère entendu ici –, Fernand Gustave Halphen (1872-1917) finit ses jours comme capitaine d’infanterie. Malade, amer et résigné, Claude Debussy (1862-1918) disparaît l’année de l’Armistice, mais loin du front, à l’inverse d’Ernest Farrar (1885-1918).
Aîné des survivants au programme, Gabriel Fauré (1845-1924) ne prend pas les armes, tandis que Maurice Ravel (1875-1937), d’abord écarté puis définitivement réformé en avril 1917 (ses pieds gèlent durant une garde de nuit), a longtemps insisté pour brancarder les blessés du haut de son mètre soixante-et-un. D’abord au service de l’armée autrichienne, Ervín Schulhoff (1894-1942) devint un musicien réputé – pour ses Quatuors, notamment [lire notre critique du CD] – ; des années plus tard, comme de nombreux civils, il va mourir de tuberculose en captivité, sous le régime hitlérien. Debout à l’issue du second massacre mondial, Reynaldo Hahn (1874-1947) sert avec courage son pays d’adoption, tout comme, à Verdun, Henry Février (1875-1957). Du père de Ciboulette (1923), citons ces mots à leur place dans un hommage aux victimes d’un même sang :
« J'ai vécu en Allemagne, en Angleterre, en Italie, en Russie, ailleurs encore. Ici, là, ailleurs, j'ai aimé, souffert, travaillé, pensé. J'y ai vu et entendu des choses admirables et je ne peux, du jour au lendemain, brûler ce que j'ai encensé. Que l'on combatte l'Allemagne avec toutes les forces possibles — ce que, d'ailleurs, on ne fait pas — c'est un devoir. Mais qu'on la raille, qu'on la bafoue, qu'on oublie sa grandeur intellectuelle et les services qu'elle a rendus au monde, c'est indigne et cela me répugne, parce que la liberté de l'esprit est la seule dont un homme puisse être vraiment fier ».
Très populaire à l’époque, la mélodie va rendre compte de « la désolation de vies détournées de leurs cours » (dixit nos deux artistes). Dans un récital résolument mélancolique, on croise les mots soldats, soldiers et Soldaten (C’est la paix !, On the idle hill of summer, Der Geworbene), tombeau et grave (La dernière chanson, The lads in their hundreds), et autres ennemis et larmes d’adieu (Noël des enfants qui n’ont plus de maison, Le plus beau présent) – témoignage « d’un monde où l’on ne vit guère plusieurs fois vingt ans »…
LB